lundi 18 novembre 2013

Mademoiselle Solitude, de Bill Pronzini

Cela faisait presque dix ans que Bill Pronzini n’avait pas été traduit en français (le dernier était « La mort sans peine, publié chez L’écailler du sud en 2005). Et encore, entre 1996 et 2005, seuls quatre de ses romans ont paru en France. Surprenant lorsque l’on sait que l’écrivain américain a fait les beaux jours de la Série Noire dans les années 70 et 80 avec parfois plusieurs titres publiés au cours d’une même année. L’auteur a disparu petit à petit de nos librairies alors qu’il continue aujourd’hui encore d’écrire régulièrement aux USA.

Bravo donc aux éditions Denoël et à Frédéric Brument de lui donner une nouvelle chance. D’autant que ce Mademoiselle Solitude (Blue Lonesome en VO, sorti en 1995) est un très beau roman. Un roman policier classique, solide, de ceux qui vous emportent sans peine et sans artifice.

Cette fois ce n’est pas le détective récurrent « Nameless » (que l’on a pu voir notamment dans « LeCarcan ») qui est le héros, mais un dénommé Jim Messenger. Celui-ci aperçoit chaque jour à l’heure du déjeuner une jeune femme qui exerce sur lui une étrange fascination. Et puis un jour la jeune femme disparaît. Sans bien comprendre pourquoi, Messenger recherche sa trace pour se rendre compte que la mystérieuse étrangère s’est donnée la mort. Commence alors une enquête qui le mènera dans la ville natale de cette « Mademoiselle Solitude », un bled paumé dans le désert du Nevada, un bled où les étrangers ne sont pas les bienvenus et qui recèle pas mal de secrets.

Tous ceux qui aiment Thomas H. Cook devraient se jeter sur ce roman. Ils y retrouveront le même charme, les mêmes ambiances. Jim Messenger est un héros extrêmement attachant que l’on a plaisir à voir évoluer et se transformer au fil de sa quête de la vérité. Il y aussi du suspense, une vraie enquête et quelques bagarres. Le tout parfaitement orchestré par un vrai grand auteur : Bill Pronzini.   

Mademoiselle Solitude (Blue Lonesome), traduit de l’anglais (USA) par Frédéric Brument ; Ed. Denoël / Sueurs froides


vendredi 25 octobre 2013

On ne joue pas avec la mort, de Emily St John Mandel

Le premier roman d’Emily St John Mandel m’avait intéressé sans totalement m'emporter. La faute à une deuxième partie qui m’avait semblé un tantinet longue et redondante. Cette fois par contre, pas de pinaillage, « On ne joue pas avec la mort » est vraiment très bon, de la première à la dernière page. 
Il y a presque deux romans en un tant la première et la seconde partie sont différentes. Au début, on rencontre Anton, cadre dans une grosse boîte new-yorkaise. Sans bien que l’on sache pourquoi, l’employé se fait mettre au placard et pendant toute cette partie, on baigne dans un climat de thriller paranoïaque façon « Homeland » en essayant de savoir si l’on doit, ou non, faire confiance à notre héros. Ensuite, on change d’ambiance en se déplaçant sur la côté d’une île italienne où Anton (je ne dirai pas pourquoi) va passer de nombreuses journées à attendre un mystérieux rendez-vous.
Dis comme ça, j’ai bien conscience que l’histoire a l’air sans queue ni tête. Pourtant tout fonctionne et la construction est parfaitement maîtrisée. Le gros plus du bouquin c’est son ambiance totalement envoûtante. Difficile à classer – on pourrait peut-être parler de thriller introspectif – « On ne joue pas avec la mort » confirme le talent et l’originalité de cette auteure canadienne.


On ne joue pas avec la mort, de Emily St John Mandel, traduit de l'anglais (Canada) par Gérard de Chergé, Ed. Rivages/Thriller, 304 pages.

mercredi 23 octobre 2013

Zapping rentrée littéraire

Le bruit de tes pas, de Valentina D’Urbano : Un excellent premier roman italien. Très fort, doté d’une écriture incisive et brutale. Une histoire d’amitié sur quinze ans entre deux ados qui vivent dans un squat de la banlieue de Rome. Marquant.

Je ne retrouve personne, de Arnaud Cathrine : J’avais beaucoup aimé les premiers livres d’Arnaud Cathrine mais j’avais un peu oublié l’auteur depuis 2005. J’ai ouvert ce nouveau livre par une sorte de curiosité nostalgique mais sans trop y croire. Eh bien j’ai été agréablement surpris. L’histoire peut sembler banale et déjà vue (un trentenaire retourne dans la ville de son enfance pour s’occuper de la vente de la maison familiale. Ce retour aux sources va bousculer ses souvenirs et l’amener à réfléchir à sa situation actuelle) mais Arnaud Cathrine a un vrai talent d’écriture et ce livre m’a particulièrement ému.

Puzzle, de Franck Thilliez : Grosse, grosse, grosse  déception ! Si je ne suis pas un fan du duo Sharko Hennebelle, j’aime en général beaucoup les one shot de Thilliez (notamment Vertige). Ici ça démarre très bien avec un jeu grandeur nature façon The Game de Fincher. On accroche. Mais ensuite l’intrigue se déplace dans un hopital psychiatrique et tout devient du grand n’importe quoi. Et puis c’est looong ! La fin tellement facile et attendue renforce la déception.

Pur, de Antoine Chainas : Versus mis à part, je n'ai jamais vraiment été emballé par les romans de Chainas. Pur ne vient malheureusement pas me réconcilier avec l'auteur. Le début est pourtant intéressant et intrigant. Mais l'auteur me perd ensuite avec des situations peu crédibles. Quant aux idées sur la montée du nationalisme ou des ploutocraties, je n'y trouve pas grand chose qui n'ait déjà été dit et redit.

Esprit d’hiver, de Laura Kasischke : le livre qui aura enfin fait basculer Laura Kasischke de la reconnaissance critique au vrai succès publique. Bon, par contre ce roman n’est pas à mon avis son meilleur. Un huis clos entre une mère et sa fille adoptive qui joue sur les flashbacks. Certes il y a une vraie ambiance, oppressante à souhait, le suspense nous tient bien et ça se lit vite. Mais j’ai eu l’impression d’avoir déjà lu ça avant et le livre ne m’a pas procuré beaucoup d’émotions contrairement à ses romans précédents (Rêves de garçon par exemple).

Le quatrième mur, de Sorj Chalandon : En 1982, un homme va tenter de monter l’Antigone d’Anouihlh au Liban, en pleine guerre. Le livre s’ouvre sur une scène très forte. Mais il perd rapidement son rythme et ne retrouve jamais la fulgurance et l’émotion qu’on aurait pu attendre d’une telle histoire.

Les évaporés, de Thomas Reverdy : Un récit qui se penche sur le sort de d’un « évaporé » au Japon, ces personnes qui pour éviter la honte et le déshonneur ou pour échapper à la mafia, quittent tout pour refaire leur vie ailleurs. L’aspect sociologique du récit m’a plu, l’intrigue et l’écriture beaucoup moins.   

samedi 19 octobre 2013

Epépé, de Ferenc Karinthy

Bravo aux éditions Zulma d’avoir eu la très bonne idée de sortir (enfin) ce livre en format de poche et de lui offrir du coup une seconde vie.
Soyons clair et concis : Epépé est un roman génial ! Je l’ai découvert il y a quelques années et depuis il persiste à s'inviter régulièrement dans mes pensées.
Ecrit dans les années 70 par le Hongrois Ferenc Karinthy, ce livre est aussi fou et angoissant que du Kafka et du Buzzati confondu, le tout avec une pointe d’humour pour mieux nous faire passer la pilule. On y suit un linguiste polyglotte érudit qui se retrouve propulsé sans bien savoir comment dans une ville inconnue et surpeuplée. Or notre héros est pris de quelques sueurs froides lorsqu’il se rend compte qu’il ne comprend pas un seul mot de ses étranges habitants. Tout du long il n’aura de cesse de tenter de communiquer, de rétablir ce rapport à l’autre sans lequel toute vie perd son sens. Fable acerbe, critique amère du communisme, récit doux dingue où l’absurde côtoie la folie. On ressort de ce roman sonné. Mais d’un mal qui fait du bien.


Epépé, de Ferenc Karinthy, traduit du hongrois par Judith et Pierre Karinthy, Ed. Zulma, 288 pages 

mercredi 16 octobre 2013

Tough luck, de Jason Starr

Tough Luck n’a jamais encore été traduit en français. Je m’y suis donc attelé en VO. C’est un Jason Starr correct. En gros, meilleur que ses derniers bouquins (Harcelée, Crise de panique), mais pas aussi bon que ses premiers (La Ville piège, Petits meurtres à Manhattan).
L’histoire est assez classique quand on connaît l’auteur : un jeune loser de Brooklyn qui ne cesse de prendre les mauvaises décisions et qui se retrouve pris dans un engrenage infernal dont la seule issue possible est la folie.

Le livre est tout de même très plaisant, je suis bien rentré dedans, mais encore une fois il est trop proche des autres livres de Jason Starr (au programme, paris sportifs, dettes, cambriolage qui tourne mal, cadavre à dissimuler…) sans en atteindre le niveau. Bon, question renouvellement, l’auteur a quand même fait des efforts depuis puisque ses deux derniers bouquins en date (The Pack et The Craving, que je n’ai pas encore lus) font intervenir des loups-garous… Me demande bien ce que ça va donner cette histoire.  

Au revoir là-haut, de Pierre Lemaitre

Pour moi c’est simplement le roman le plus fort de cette rentrée littéraire, le roman que j’ai le plus dévoré, celui qui m’a le plus ému et enthousiasmé. A vrai dire je suis loin d’être le seul, le bouquin ayant reçu un très bon accueil du côté des médias, des libraires et du public.
Je l’attendais de pied ferme ce Pierre Lemaitre. Déjà fidèle lecteur de ses romans policiers, je trouve qu’il a parfaitement réussi son virage qui l’emmène en dehors de la littérature de genre. « Au revoir là-haut » n’est donc pas un polar, mais il conserve les qualités propres aux livres de Pierre Lemaitre : un sens du rythme époustouflant et des personnages extrêmement forts.
Le roman parle de l’après-guerre 14. Durant les 50 premières pages, nous sommes encore sur le champ de bataille. On rencontre les trois protagonistes, deux soldats malchanceux et un gradé franchement dégueulasse. Après une première scène d’anthologie, on se retrouve donc en 1919. Et c’est là que le propos de Pierre Lemaitre se développe. Il nous montre une France qui veut laisser la guerre derrière elle quitte à en oublier ses héros. Des héros pathétiques, détruits physiquement et psychologiquement, des laissés pour compte. Sauf que deux d’entre eux, Albert et Edouard, vont tenter de prendre leur revanche sur cette France ingrate en mettant sur pied une superbe arnaque.

Roman de la rentrée disais-je. Pour retrouver ce plaisir qu’on a pu connaître en lisant Dumas. Pour se replonger dans une époque que de moins en moins de gens ont connu. Pour lire un sacré bon bouquin.

Au revoir là-haut, de Pierre Lemaitre, Ed. Albin Michel, 567 pages 

lundi 13 mai 2013

En attendant la vague, de Gianrico Carofiglio


Le nouveau roman de Gianrico Carofiglio ne met pas en scène l’avocat Guido Guerrieri. Ce n’est pas non plus vraiment un polar. Par contre c’est un très bon bouquin.

Roberto est un carabinier en convalescence dont on comprend rapidement que des années d’infiltration au sein même des réseaux de narcotrafiquants auront fini d’user sa santé mentale. C’est dans le cabinet d’un psy qu’on le rencontre pour la première fois et qu’on remontera avec lui les fils de sa vie passée. Pour chercher et essayer de comprendre comment sa vie a pu basculer, comment il a pu se retrouver hors du monde, tel une coquille vide.
C’est toujours un plaisir de se laisser embarquer par la prose très fluide de Carofiglio. Avec lui, on a toujours l’impression de flotter un peu, d’être en retrait pour mieux observer les choses se dérouler. Une lecture apaisante, presque une invitation à la méditation.
     
« En attendant la vague », de Gianrico Carofiglio, traduit de l’italien par Nathalie Bauer, Ed. Seuil, 270 pages.